Dire Aurevoir. [nuit] (Pv: Eknera)

Dès le premier coup à la porte, Eknera s'était tourné par là, les sourcils froncés, perplexe. Personne ne venait jamais le voir dans cette maison, pas même Ynn. Eknera y était que trop rarement. L'atmosphère semblait toujours hantée par la présence d'Arenke, alors il préférait rester loin. En plus, il ne dormait que très rarement. Il était une créature nocturne, mais avec Jenny, il ne pouvait même pas dormir le jour.

Eknera alla ouvrir la porte, un peu hésitant. D'un mouvement lent, il tourna la poignée et tira la porte. Il fut surpris de découvrir Souky sur le seuil. Elle semblait très sérieuse, ce qui l'inquiéta légèrement. L'alter pur ne dit rien, trop surpris pour réagir. La dernière fois qu'il l'avait vu, c'était à sa première rencontre avec Billie, et elle était partie sans laisser de trace.
-On peut parler?
Un muscle au coin des lèvres d'Eknera sauta, puis il approuva d'un bref signe de tête. Il ouvrit un peu plus la porte pour la laisser entrer, et referma la porte derrière elle. L'alter pur fit un tour d'horizon, puis grimaça. Avec elle dans cette maison, il réalisa que l'espace était vide. Il n'y avait presque pas de meubles et les lumières étaient toutes éteintes.
-Viens, dit-il simplement.

Eknera conduisit Souky au salon. Les seules choses qui faisaient que cette pièce était un salon étaient le long divan, un plus petit sofa, la plus grande fenêtre de la maison et un foyer dans le coin. Eknera s'assit sur le divan, laissant une place à Souky. Généralement, il tentait même d'éviter de regarder ce divan. C'était là où Arenke était mort. L'alter pur chassa cette pensée et regarda la jeune nécromancienne dans les yeux.
-C'est assez rare que tu viennes ici...il y a quelque chose de grave?
Eknera était assez curieux de ce qui s'était passé:
-Le baiser était trop repoussant ou tu as eu peur de cette folle? Tu m'as embrassé, puis tu es parti...Tu aurais pu au moins me dire où tu allais au lieu de dégager et nous laisser seuls avec...
Il s'interrompit aussitôt. Il venait de penser à quelque chose:
-Saralya...c'est elle, non? J'aurais du y penser...Merde, je t'ai traîné dans une bataille alors que tu étais...
Eknera s'arrêta une fois de plus, réalisant qu'il parlait un peu dans le vide.
-Une minute, tu n'es pas seulement ici pour me parler de ça, pas vrai?

Eknera écoutait silencieusement Souky. Elle semblait vouloir lui dire quelque chose qui n'arrivait pas à s'échapper de ses lèvres.
-Il y a bien des choses que je ne te dis pas depuis bien longtemps. Mais aujourd'hui, j'ai décidé de tout te dire. Ce que je vais te dire, Francis le sait. Je lui ai tout dit, et c'est même lui qui m'a conseillé de venir t'en parler...
L'alter pur haussa un sourcil. Depuis quand Francis avait un rapport avec lui? Et surtout, depuis quand ce fulgur encouragerait Souky à aller le voir?
-...Souky, qu'est-ce qui se passe?
La nécromancienne semblait avoir un peu peur. Mais peur de quoi? De lui dire la vérité?

-Avant de dire n'importe quoi et de passer aux choses sérieuses, j'ai une question pour toi... Que penses-tu réellement de moi?
Eknera plissa les yeux. Cette question était assez louche. Il se redressa avant de répondre, même s'il devait réfléchir quelques fois avant de poursuivre:
-S'il fallait que je ne sorte qu'un mot, je te décriverais comme étant compliquée. Mais vu que tu es une nécromancienne, je devais m'y attendre...et pas d'offense. Je pense que tu as beaucoup de potentiel pour une fille de ton âge. Mais parfois, tu me fais peur. Peur dans le sens que je ne peux jamais savoir ce que tu vas faire, dire ou ressentir. Tu as une personnalité complexe...et un peu trop, même. Bref, imprévisible.
Tout pour dire qu'il voulait savoir ce qu'elle avait à dire, mais en même temps, ce qu'il avait dit était vrai.

Eknera suivit Souky du regard lorsqu'elle se leva. Il écoutait son discour interminable sans démontrer aucune expression faciale. Il devait s'y attendre, surtout après l'avoir traité d'imprévisible. Oui, ce mot lui convenait parfaitement. Le plus étrange était que, comme d'habitude, elle avait tout faux.
-J'ai été amoureuse de toi, Eknera. Oui, je l'ai été. Mais il a fallu, autant pour moi que pour notre amitié que je fasse un trait sur ses sentiments, mais aujourd'hui, je me demande ce que j'en ai gagné de ne plus m'approcher de toi comme je le faisait puisque toi tu semble me fuir et tu me traite comme une moins que rien en me disant encore nécromancienne...
Eknera détourna le regard dès la première phrase. Merci à Souky de lui ramener des mauvais souvenirs. C'est ce qui lui fit croire qu'il n'arrivait pas vraiment à songer à de bons souvenirs. Sa vie n'avait rien de trop heureuse, de toute façon.

L'alter pur leva la tête vers Souky. Elle ne faisait que le regarder, les yeux en larmes.
-...Oh, t'as fini?
Il ne le faisait que pour l'écoeurer. Il se leva avant qu'elle n'ait pu réagir et saisit doucement ses épaules. Il l'observa d'un regard soutenu avant de répliquer:
-Sais-tu pourquoi je déteste autant les nécromanciennes? Ce n'est pas seulement à cause de Miaka. Quand j'étais plus jeune, une nécromancienne avait laissé Arenke pour mort après l'avoir attaqué juste avant que je me réveille. Ce qu'elle a fait aurait pu nous couter la vie. J'ai grandi en me méfiant d'elles, et quand j'ai rencontré Miaka, je me suis mis à les haïr toutes. Je savais que toi, tu étais différentes, mais que tu le veuilles ou non, tu as son sang qui coule dans tes veines. Toutes les nécromanciennes que j'ai connu ne vivaient que pour détruire, ou elles ne savaient pas ce qu'elles voulaient. Ce deuxième type de nécromancienne s'adresse à toi.
Eknera reprit son souffle et continua:
-Je n'ai jamais compris ta manière de penser, et c'était ce qui me frustrais le plus. Le fait de toujours essayer de t'aider, mais ne jamais pouvoir le faire à cause de ça. Tu n'es pas une traitresse à mes yeux, Souky. Et je te fais confiance...mais parfois, tu met cette confiance en doute. Mais même si je ne suis pas obligé de te protéger, je le fais. Je sais qu'en vieillissant, tu pourrais faire une différence de ta vie, tout comme moi, à ton âge. J'avais les idées stables, mais noires et sadiques. C'est seulement en vieillissant que j'ai compris quel était le chemin que je devais prendre.

Eknera recula, laissant deux choix à Souky: rester ou partir. Il ne pouvait déterminer ce qu'elle ressentait, comme toujours, mais ne fit que dire d'un ton très calme:
-C'est assez d'explications? Maintenant, c'est à toi de m'en donner. Que viens-tu faire ici? Qu'est-ce que tu me veux?

Souky semblait avoir compris. Son visage était redevenu calme, mais Eknera s'attendait à tout. Ils s'assirent de nouveau et la jeune nécromancienne garda le silence. L'alter pur était patient et respectait son silence. Si c'était si grave que ça, il lui laissait le temps. Souky appuya sa tête sur son épaule, mais n'eut aucune réaction de la part d'Eknera.
-Je vais partir. Je vais quitter la ville... dès que je sortirai de la maison... Francis m'attends chez lui...
L'alter pur baissa la tête vers elle, étonné.
-...Quoi?
-J'ai peur... Je n'ai jamais eu aussi peur de toute ma vie, Eknera... Comment est-ce que je peux savoir que je fais la bonne chose...
Eknera comprit alors que Souky faisait référence à Saralya. Elle prit sa main et la posa sur son ventre. L'alter sentit le bébé bouger sous la paume de sa main, mais ne réagit pas vraiment. Lorsque Souky continua de parler, il en avait oublié d'enlever sa main.

Elle reposa sa tête sur l'épaule d'Eknera qui regarda dehors.
-Tu le fais pour ta fille, et ça, je peux le comprendre...mais pour combien de temps? Combien de temps seras-tu parti? Tu sais que tu ne pourras pas la garder dans l'ignorance longtemps. Et c'est mon devoir de te protéger, et de la protéger si tu fais de moi son parrain...
Eknera se tut, gardant les yeux sur l'horizon.
Ou peut-être est-ce que c'est aussi de moi que tu voudrais protéger ta fille.
Cette fois, Eknera regarda Souky.
-C'est peut-être une meilleure chose que tu partes. J'ose croire que Francis pourrais te protéger. Je ne le sous-estime pas pour ça. Et je ne souhaite pas à Saralya de me connaître avant un moment.
Il attendit une réaction de la futur-mère, espérant qu'elle comprenait.

Souky avait l'air très sérieuse, et il était clair qu'elle n'avait pas apprécié les dires de l'alter pur.
-Eknera, je veux que tu m'écoute. En fait, ce n'est pas une demande, c'est un ordre. Je veux que tu te souvienne parfaitement de ce que je vais te dire maintenant...
Eknera haussa un sourcil.
C'est toi qui commande, maintenant?
Il ne dit rien lorsqu'elle nia tout ce qu'il avait dit, ni lorsqu'elle se remit à pleurer. Il savait que Saralya ne serait pas en sécurité, à Étienne Laurion, mais il fut tout de même surpris lorsque Souky lui dit:
-Je ne veux pas que tu révèle la vérité à ma fille sur le monde de la nuit. À moins que ce ne soit une obligation une une question de vie et de mort, je veux que se secret reste caché...
Le parrain de Saralya était une créature nocturne. Et il lui fallait garder son identité secrète? Pourquoi? A cause des kobolds, qui sont égalements des créatures de la nuit? Et Ynn aussi, l'amoureuse d'Eknera, était une alter. Souky allait être déçue: ce secret n'allait pas être gardé longtemps. Qu'est-ce qui faisait qu'Eknera était plus faible le jour, mais fort le soir? Qu'est-ce qui faisait que ses yeux avaient l'exacte couleur d'un rubis? Pourquoi se promenait-il toujours avec une épée fantôme? Saralya allait se douter de quelque chose, un jour.

Souky regarda la porte, puis revint à Eknera.
-Ce n'est pas un Adieu... ce n'est qu'un Au revoir. Nous nous reverons... je te le promets....
Eknera secoua la tête. Elle n'en était pas certaine.
-Ne fais pas de promesse si tu ignores si elle sera tenue ou non. Tout comme moi, avec mon silence. Peut-être que je ne dirai rien à Saralya, mais il sera difficile de la garder dans l'ignorance...si tu reviens.
Eknera changea de sujet:
-Où vas-tu aller? Et encore une question: pourquoi reviendrais-tu? Je ne te dis pas que je veux que tu restes loin, au contraire...mais si tu dis que c'est la mort ou le danger qui t'attend ici, alors pourquoi reviendrais-tu? Comme je te l'ai déjà dit, je suis sensé te protéger...et si ça inclue que tu partes, alors qu'il en soit ainsi.
Il espérait seulement qu'elle avait un plan pour ça. Se sauver ne servait à rien s'il n'y avait aucune destination. C'était autant de l'autre côté de la rue qu'à l'autre bout du monde. Eknera garda le silence sans afficher d'expression faciale en attendant la réponse de Souky.

Eknera suivit Souky dehors alors qu'elle continuait de lui parler. Il n'entendait pas très bien, mais avait une idée de ce qu'elle pouvait lui dire. A l'extérieur, la pluie tombait légèrement. Ce n'était que de fines gouttelettes; rien pour annoncé un orage. Lorsqu'Arenke était jeune, sa mère lui disait que l'orage était mauvais signe, mais qu'une pluie douce apportait bonne chance. Encore une fois, Eknera n'y avait jamais cru. Dans un monde comme celui qu'il connaissait, la chance n'existait pas. Tu es en mesure de faire quelque chose, ou tu ne le peut pas, mais cette nuit-là, Eknera se dit qu'il pouvait souhaiter bonne chance à la jeune nécromancienne.

Souky le regardait, mais l'alter pur n'arrivait pas à distinguer son expression faciale.
-Aujourd'hui, l'avenir commence. Aujourd'hui, c'est le début d'un nouveau monde. Dès que Saralya sera née, on pourra enfin, peut-être, espérer une paix...
Elle prit une pause avant de dire:
-Je dois y aller maintenant...
Eknera ne fit que la regarder un moment, puis s'approcha d'elle. Ses mouvements étaient lents, mais il prenait de grandes enjambées. Eknera s'arrêta à moins d'un mètre de Souky. En levant une main, il pourrait la toucher. Ses yeux rouges ne brillaient plus; ils étaient d'un cramoisi sombre.
-Au revoir, Souky.